Expérimentation et expérience de
cinéphilosophie en classe de seconde
Que peut l'analyse filmique en
philosophie ?
par Rémy David
Bilan des Enseignement d’exploration en philosophie –
littérature de seconde
Année 2013 – 2014
Œuvre étudiée : Spartacus
de Kubrick, 1960.
De nombreuses œuvres ont été
évoquées, mais aucune étudiée pour elle-même. Une seule et unique œuvre cette
année, étudiée jusqu’à la fin.
Analyse de la pratique enseignante :
-
Objectifs :
·
Les objectifs sont la sensibilisation au
questionnement philosophique, et le développement de premières compétences en
ce domaine. Il s’agit clairement de faire pratiquer le philosopher, de manière
individuelle et collective.
·
La découverte du champ et de rudiments de
culture philosophique.
·
L’éducation au regard et à l’analyse
cinématographique comme objet culturel.
·
Le développement de compétences d'analyse, tant
littéraires que philosophiques.
·
Permettre aux élèves de choisir leur filière,
notamment littéraire, dans une moindre ignorance des exigences
philosophiques : objectif d'orientation.
·
Travailler un rapport à l'écrit liant réflexion
et écriture : quelles traces de cours ; qu'est-ce que penser à
l'écrit ?
-
Quelles pratiques et approche
proposée ?
J'ai travaillé cette année avec mes cinq classes de seconde
le même film :
Spartacus de Kubrick (1961). La progression s'est
effectuée de manière très lente, car aux 2/3 de l'année, nous en étions à la
moitié du film de trois heures. Le choix d'une « hyper-analyse »,
scène par scène, puis
séquence par séquence a été
effectué. Au visionnage de la scène succède une réflexion collective précisant
la compréhension de la scène et ses enjeux tant narratifs qu’intellectuels au
sens large. Une prise de note des traces de ce qui a été discuté et réfléchi
est ensuite organisée, pour les classes qui ne sont pas encore capable d’une
prise de note autonome (une très grande disparité demeure entre les élèves et
entre les classes).
La dissociation du récit d'une part, et de l'analyse
d'enjeux narratifs, historiques, d'un questionnement philosophique d'autre
part, est recherchée dans la systématisation de routines. Une prise de notes de
cours conséquente est organisée, afin de leur permettre d'expérimenter la
différence entre des échanges à bâton rompus, dans une sorte de
« ping-pong » intellectuel, et la reprise dans un discours élaboré
qui s'installe dans une langue écrite, et à la fois synthétise, complexifie,
problématise, voire interprète, ce qui n'avaient été que des remarques éparses
lancées au fil des idées. Cette trace écrite fonctionne également comme
validation de ce qui a été dit : ce qui est digne d'être retenu et
conservé.
Ce passage d'une culture des échanges oraux (qui n'a aucune
évidence au départ pour certains élèves ou certaines classes, puisqu'il suppose
d'abord une écoute de l'autre, et un renoncement à « donner son
avis » comme s'il s'agissait d'un trésor rare) à une pensée dans et par
l'écriture qui est certainement l'un des propres du lycée, nécessite à mon sens
insistance et exigence, pour que puissent se construire des habitudes ;
mais il fonctionne, de manière très différenciée selon les classes, comme un
obstacle à l'entrée dans l'activité.
Pour
deux classes sur cinq, le manque d'intérêt évident de l'activité, des
Enseignements d'exploration et /ou d'une discipline qui n'existe pas dans la
classe de seconde d'ordinaire, conduit à une déflation de la parole
collective : personne ne semble s'autoriser à briser une « loi du
silence » - concernant uniquement la coopération aux objectifs du
professeur, car à la moindre hésitation ils se lancent dans des
discussions/disputes avec leurs camarades, ce qui en fait des classes
relativement épuisantes. Du coup, pour éviter la dispersion conséquente de ce
refus de travailler, j'ai accru le dispositif d'écriture, ce qui leur est apparu
comme rébarbatif, au point de ne permettre à aucun d'entrer dans le sens de
l'activité. Le cours se déroule de manière tendue, et rares sont les séances où
ils acceptent d'entrer dans une discussion de ce que le film propose comme
réflexion, et ce de moins en moins souvent au cours du développement de
l'année. Il apparaît donc que dans ces classes difficiles – comme il y en a
tous les ans – je n'ai pas su construire les conditions d'une entrée dans
l'activité intellectuelle émancipatrice qui était visée. Les enjeux et objets
intellectuels sont appauvris avec ces élèves qui semblent de ce fait exclus du
jeu intellectuel auquel il s'agissait de les convier, en le leur faisant
expérimenter de manière à la fois plaisante et exigeante. C'est certainement un
échec pédagogique à méditer, comme nous y invite leurs réponses au
questionnaire, et les discussions générées lors du retour que je leur en ai
fait (vous m'avez dit des choses, je vous restitue cette parole que m'avez
confié, pour que vous sachiez ce que vous avez dit).
Pour
trois classes sur cinq, à l'inverse, l'intérêt d'un groupe d'élèves (voire
d'une majorité) qui semble avoir saisi qu'il se joue un rapport au savoir
différent rend le cours vivant, voire instaure une véritable réflexion
collective, qui lui fait véritablement jouer son rôle de dynamique de
construction de savoir (auto-socio-construction de savoir), dans un échange où
se confrontent les compréhensions, les interprétations, et les éléments
d'analyse. La dimension philosophique est souvent davantage portée par
l'enseignant, mais comment pourrait-il en être autrement ? Dans ces
classes, les traces de cours « dictées » pour récapituler et élaborer
les discussions ont laissé place à des prises de notes plus ou moins
spontanées, rendant même parfois plus difficile la réflexion collective (quand
est-on en recherche, en tâtonnement, et quand est-on en stabilisation de sens,
d'interprétation ou d'un questionnement validé et élaboré?). Cette différence
de rapport au savoir exploratoire est saisissante, et invite à questionner le
dispositif de manière plus fine pour essayer de comprendre ce qui s'y joue,
d'autant que les résultats d'évaluation, toujours qualitatifs – et ne donnant
pas prise à une comparaison, donc à un classement possible – valide cette différence
entre ces deux groupes de classe. Dans le premier, quasiment personne n'était
entré dans une démarche analytique au milieu de l'année, alors qu'une forte
proportion du second groupe avait engagé l'analyse, voire s'y trouvait dans son
élément.
Travaux
écrits
Compte
tenu du nombre d’élèves dont j’ai la charge cette année (près de 270), le
nombre d’écrits corrigés est limité. Les élèves de seconde auront travaillé sur
des récits de suite et de fin de film, sur des analyses de scène, et sur des
analyses de personnages. Un travail récapitulatif final a également été
proposé, dont l'ambition fut de spécifier la démarche analytique, et le
questionnement réflexif spécifique de la philosophie. Il s'agit tout autant de
leur permettre l'entrée dans un univers réflexif que de développer réellement
des compétences d'analyse. Des questions ouvertes d'analyse, et de
questionnement ou réflexion les invite à explorer ces domaines, et leur
proposent des corrigés qui les autorisent à se guider sans leur imposer de carcan
ou de cadre trop étroit. Il s'agit de leur faire explorer la culture de
l'analyse à travers un objet culturel courant pour eux, et des mythes
hollywoodiens aisément transférables. Le travail écrit sert moins à juger d'un
niveau acquis, qu'à orienter la démarche formative en permettant de prendre
conscience de ce qui est demandé après s'être confronté à la difficulté, et de
l'écart entre récit et analyse.
-
Compétences travaillées et
développées :
Il
me semble tout à fait intéressant de différencier les compétences que nous
avons travaillé en classe, devant eux, que nous avons exploré avec eux, d’une
part, et les compétences que nous les avons fait travailler, et que nous avons
évalué, que ce soit à l'écrit ou à l'oral, d’autre part.
Je
propose donc deux séries de critères : travaillé à l’oral, ou objet
d’écrit ; et évalué, non évalué. « A l’oral » désigne la
réflexion collective, ou à défaut dans les classes silencieuses, résistantes,
dans la démarche insistante de l’enseignant de dégager cet aspect, de manière
répétée. « A l’écrit » désigne ce qui vient renforcer et compléter le
processus de réflexion collective oralisé, par un écrit ouvert des élèves (cela
n’inclut pas les traces qui sont gardées du cours). Aucun écrit collectif n’a
été réalisé cette année, donc l’écrit individualise systématiquement.
« +/- »
indique « plus ou moins », signifiant soit variable d'une classe à
l'autre, soit un travail inabouti, i.e. effectué mais pas toujours conscientisé
et explicité pour les élèves.
Compétences
|
Oral
|
Écrit
|
Évalué
|
Non évalué
|
Écouter
|
x
|
|
|
x
|
Prendre la parole en public
|
x
|
|
|
x
|
Raconter
|
|
|
|
|
Raconter et décrire de manière pertinente (un personnage,
une scène)
|
x
|
x
|
|
x
|
Imaginer un écrit inventif de situation, projetant un
imaginaire ; qualité de la langue du récit
|
|
x
|
|
x
|
Faire sens
|
|
|
|
|
Repérer (sensibilité aux) les détails signifiants ou
affectifs
|
x
|
x
|
|
x
|
Comprendre une scène
|
x
|
x
|
|
|
Interpréter une scène
|
x
|
+/-
|
+/-
|
|
Argumenter
|
+/-
|
|
|
x
|
Analyser
|
|
|
|
|
Analyser une scène
|
x
|
x
|
x
|
|
Analyser un personnage
|
x
|
x
|
x
|
|
Analyser le traitement d'une notion ou d'un concept dans
le film
|
+
|
-
|
x
|
|
Questionner et
problématiser
|
|
|
|
|
Se questionner
|
x
|
|
|
x
|
Construire un questionnement soulevé dans la scène.
|
x
|
+/-
|
+/-
|
|
Relever les ambivalences, les contradictions ou paradoxes
d'une situation.
|
x
|
|
|
x
|
Problématiser une situation
|
x
|
+/-
|
|
x
|
Conceptualiser
|
|
|
|
|
Définir un concept
|
x
|
|
|
x
|
Varier les approches d'un concept
|
x
|
|
|
x
|
Réfléchir
|
|
|
|
|
Réfléchir au film comme objet de pensée
|
x
|
x
|
x
|
|
Réfléchir à ses propres émotions ou réactions vis-à-vis du
film
|
x
|
x
|
x
|
|
Réflexivité sur le dispositif formatif lui-même : ce
n'est plus l'élève qui est évalué, c'est lui qui évalue la formation proposée
par l'enseignant, ou le dispositif collectif.
|
x
|
x
|
x
|
|
Évaluation et
enseignements ; perspectives
Le
premier enseignement est que ce dispositif apparaît pertinent en seconde. Il
permet de jouer son rôle d'une éducation au regard, dont de nombreux
spécialistes des questions d'image et d'éducation rappellent qu'elle est
souvent un angle mort de l'éducation scolaire. Si la « culture
numérique » des jeunes générations est le plus souvent visée, il ne faut
pas négliger l'éducation aux images, omniprésentes et très rarement décodées
pour elles-mêmes. De ce point de vue, certains élèves confient ne plus regarder
un film de la même manière, chercher ce qui est pensée, la manière dont on les
fait penser en le construisant ainsi, et on peut espérer que cette acuité
critique sensible vaut pour tous domaines d'expérience sensible et
intellectuelle, qu'elle constitue même une pierre dans la construction de ce
que Jacques Rancière nomme le partage du sensible (articulation
sensible-intelligible de ce qui est visible et invisible, pensable et impensé).
De ce point de vue, il me semble important de poursuivre l'expérimentation, y
compris pour en varier les approches et en corriger certains travers.
En ce qui
concerne l'objectif de donner à goûter au questionnement philosophique, même
diffus, afin d'en montrer la pertinence mais également les exigences, le bilan
est nécessairement mitigé. L'ambition n'étant pas de pratiquer des exercices de
philosophie à proprement parler, mais de donner à voir, de proposer une
exploration, celle-ci se déploie dans différentes perspectives. D'un point de
vue des « savoirs » ou de la culture philosophique (ce que l'on
pourrait nommer « la philosophie »), les élèves ont pu avoir quelques
aperçus, notamment dans l’antiquité, mais ils ne s'est pas agi de construire ou
de transmettre ces savoirs, sinon de montrer qu'ils existent, et qu'une tradition
de réflexion, et surtout de questionnement, peut permettre de penser l’œuvre
que nous cherchons à analyser. Dans une perspective de compétences, les élèves
ont été confrontés à des exigences de problématisation, de conceptualisation,
d'élaboration d'un raisonnement. Les échanges diffus d'idées, le plus souvent
verticaux (des élèves vers l'enseignant, en attendant une réponse
individualisée), laissent difficilement la place à une élaboration d'une pensée
qui se construit collectivement. C'est l'un des enjeux du passage à l'écrit, et
de traces de cours dictées, afin de montrer les articulations d'un discours
analytique et réflexif. Les élèves renvoient cette idée dans leur questionnaire
que l'enseignement d'exploration leur permet de comprendre ce que c'est
qu'analyser, et comment analyser un film – même s'ils revendiquent de ne pas le
savoir lorsqu'on leur demande de le pratiquer à l'écrit.
En termes de
compétences non spécifiquement philosophiques, et donc pour lesquelles je ne
revendique aucune technicité didactique, mais au contraire un souci
intellectuel généraliste, les élèves ont développé au cours de l'année (sur
deux écrits réalisés, l'un en début d'année, l'autre aux deux tiers, en
février, à la moitié du film) des compétences narratives. Ils imaginent une fin
de film plus cohérente, plus standardisées, et surtout prennent davantage au
sérieux cet exercice de récit avec contrainte, alors même qu'ils ont tout à
fait intégré le caractère non noté de l'exercice (ce qui constitue parfois un
obstacle à la prise au sérieux de l’exercice ou de la
« discipline »).
Les enjeux de construction de compétence et de rapport à
l'écrit : un bilan limité
Dans cette approche tâtonnante et exploratoire, le rapport
à l'écrit est l'un des objets incertains qu'il fallait affronter. De même qu'il
me fallut inventer des objectifs pour cet enseignement devenu lycéen mais
hors-programme, autrement dit lui inventer une fonction et un positionnement
dans une formation lycéenne généraliste (je proposais que la « spécificité
du lycée », sa rupture avec le collège, soit l'entrée dans l'analyse), je
dus balbutier un rapport à l'écrit lycéen, non formaté par deux années de
formation et de sélection au lycée
[1],
dans une forme de retour aux sources, ou d'une matière à mettre en forme.
De ce point de vue, j'ai opté pour un pari ambitieux :
construire un rapport à l'écrit exigeant, qui demande à construire ensemble des
traces de la discussion collective, afin de les confronter à l'expérience que
la pensée écrite, et de l'élaboration qu'elle engage vis-à-vis de la discussion
ou la réflexion collective orale. L'ambition est que ces traces puissent servir
y compris deux années après, pour préparer le Bac, autrement dit qu'ils
puissent y revenir ultérieurement, comme d'un savoir valide, transférable. De
ce fait, les traces sont inscrites soit sous forme de carnet de bord, et
l'usage de « l'Ordi »
[2]
est encouragé, car il permet de le retravailler, de la corriger ou de
l'enrichir. L'ambition est notamment de leur fournir un objet, notre analyse,
dont ils puissent être fier, qui fasse éventuellement réellement trace. L'inconvénient, selon eux, c'est que c'est –
à les croire – le « cours » « où l'on écrit le plus », ce
qui est le signe d'un scandale à leurs yeux, au regard de l'importance qu'ils
accordent, en général, à l'Enseignement d'exploration. Mais l'enjeu n'est-il
pas de rentrer dans cette culture de l'écrit qui caractérise le lycée ? Il
s'agit donc de leur en offrir l'expérience, tout en multipliant et variant les
écrits, dans la mesure des forces de lecture évaluative disponible
[3].
C'est pourquoi je parle davantage de contribuer à l'émergence d'une culture
lycéenne de l'écrit, plutôt que de compétences écrites à construire.
Les écrits que je leur demande de réaliser auront porté sur
trois champs. Tout d'abord, le récit imaginaire, mais vraisemblable, ce qui
autorise une exploration de registres, une recherche quasi-stylistique pour
certains, qui l'investissent comme exercice, et donc comme jeu, littéraire. Il
m'est difficile de corriger ces écrits, je leur montre que je les ai lu, qu'ils
m'ont fait penser, appréciant leur cohérence au regard de l’œuvre filmique,
leur consistance, leur degré de complexité, et prenant une position de
spectateur exigeant, je leur renvoie parfois qu’eux-mêmes n'iraient pas au
cinéma voir un film avec un tel scénario, donc qu'ils peuvent devenir plus
exigeant avec eux-mêmes. J'essaie également au maximum de faire un compte rendu
collectif de ces productions imaginatives, qui montrent leurs projections dans
le film, et qui sont donc implicantes : je tente de rendre compte de leur
imaginaire collectif, en décodant les registres, tragiques, satyriques,
mélancoliques, épiques, et les genres auxquelles finalement ils se rattachent,
et qu'ils projettent sur le film (ici Spartacus) : film d'aventure,
romance, tragédie amoureuse, film d'arts martiaux (variante antique) ou
d'action, film de guerre, ou même imaginaire westernien, afin de leur montrer
comment à partir d'un objet commun nous sommes libres (vis-à-vis d’autrui ;
car vis-à-vis de soi-même, c'est une autre question) d'investir tel projet, ou
tel événement ou rebondissement, mais également qu'ils existe des schémas
narratifs, que l'on peut complexifier, et auxquels on aime se reconnaître et
s'identifier. Bien entendu, je ne nous prive pas du plaisir de quelques
lectures choisies, afin de mettre en valeur celles et ceux qui ont investi avec
sérieux et espièglerie l'exercice pour véritablement jouer la carte de la
création, et n'ont pas, comme tant d'autres, oublié le contexte scolaire d'un
tel exercice. Cet exercice, notamment le deuxième – après le retour effectué
sur le premier – voit certaines élèves très en délicatesse avec la culture
scolaire et intellectuelle (de milieux populaires et d'origine maghrébine par
exemple) se régaler à imaginer une suite et fin du film.
Le deuxième type d'écrit est d'ordre analytique :
analyser un ou plusieurs personnages (par exemple Marcellus et Draba, qui
offrent l'« avantage » de mourir à deux scènes d'écart, au tiers du
film), et / ou une scène, un dialogue, ou certaines scène d'une séquence.
L'enjeu est de sortir de la narration/description, pour entrer dans un discours
sur, de type méta, qui prenne le récit et la capacité descriptive (qui témoigne
du passage de la sensibilité visuelle et auditive) comme matière à réflexion, à
questionnement et conceptualisation. Leurs écrits m'ont surpris par leur
variété, témoignant de leur sensibilité différentielle au divers du cours,
reflétant les approches développées en cours, sans que je m'en aperçoive
réellement : l'un développera une analyse exclusivement psychologique de
la scène, l'autre une analyse plutôt narrative, untel se focalisera sur le
questionnement suscité, tandis que telle autre explorera des perspectives
d'interprétation, ou proposera une lecture métaphysique, ou politique ;
certains proposeront une approche comparative, confrontant à des connaissances
acquises en littérature, en histoire ou en latin, au sein de leur cinéphilie...
Un troisième écrit, effectué fin mai, fut plus
sommatif : visant à apprécier si certaines compétences avaient été
développées, ou pas, en revenant sur le même film. Si j'avais eu le temps de
travailler d'autre(s) film(s), j'aurais volontiers examiné également leur
capacité à transférer d'un film à l'autre des démarches intellectuelles, en
réduisant drastiquement ma propre prise en charge de l'analyse, pour les mettre
en situation de le faire eux-mêmes. Il contiendra une part réflexive plus
importante sur le dispositif lui-même et sur le parcours de l'année, mais
variera les exercices : analyse de scène, de personnage, questionnement
problématique, approche d'une thématique ou d'une notion transversale.
Leur résistance à l'écriture du cours m'amène toutefois à
questionner ma posture ferme sur l'écrit. Ne risque-je pas de gâcher avec
certains ce qui pourrait se jouer dans une formule plus oralisée ?
L'écrit, au lieu de fonctionner comme ouverture sur la culture lycéenne, s'il
est mal (c'est-à-dire trop) dosé, ne risque-t-il pas d'opérer comme obstacle,
et d'empêcher que se joue une autorisation à philosopher ? C'est le
sentiment que j'ai avec les deux classes qui affirment se désintéresser de
l'exploration proposée (et à certains élèves dans d'autres classes), qu'ils
vivent comme imposée. L'écrit devient l'un des points de revendication
(« il en faut moins », « à quoi bon écrire ce que l'on ne
comprends pas, ce qui n'a aucun sens ? » Pourquoi écrire ce que je ne
relirai jamais... ») L'écrit est à tout le moins le révélateur de
l'absurdité d'une activité à laquelle ils n'adhèrent pas ou plus. Que ce soit
le cas également pour ces élèves dans d'autres disciplines ne doit pas nous
dédouaner d'une réflexion sur le rapport entre oralité et écrit en seconde et
plus généralement au lycée, en articulation notamment avec la tension entre
travail individuel et travail collectif.
Au final, les compétences n'auront pas fait l'objet d'une
construction « systématique », et ne pourront être considérées comme
acquises, dans la plupart des cas – ce fut en tout cas l'enseignement des deux
années précédentes. Mais n'est-ce pas le propre d'une exploration ? On
voyage léger, on découvre, on s’émerveille, on s'ennuie, on se familiarise,
mais on ne fonde pas, pas plus qu'on ne construit. Nous verrons toutefois si,
en passant de une heure trente sur 18 semaines (trois quart d'heure année), à
une heure sur 36 semaines, l'on n'a pas eu davantage l'opportunité de
construire et quoi ? L'an dernier, le bilan mettait en évidence que si la
compétence analytique n'était pas majoritairement développée, mais émergeait ça
et là au sein du récit, le plus souvent sous forme de remarque analytiques, en
revanche, la capacité réflexive était à l’œuvre, que ce soit à propos du film,
ou à propos de l'enseignement d'exploration lui-même, et qu'ils et elles en
étaient devenus les sujets, ce qui me semble une conquête essentielle de leur
formation lycéenne, et si peu recherchée et travaillée par nos pratiques
enseignantes dans le cycle secondaire. La réflexivité l'emporte sur l'analyse,
mais eut-elle pu se développer sans cette approche analytique ? Ou bien le
travail sur l'objet dépend-il de la capacité à construire une posture réflexive
(davantage centrée sur le sujet) ?
Une envie de poursuivre après la
seconde, y compris de manière différente.
Le questionnement proposé en février aux élèves fait
clairement apparaître que si une large majorité d'entre eux ne souhaitent pas
poursuivre, parce qu'ils se représentent avec plus ou moins de préjugés encore
la philosophie comme littéraire, une minorité importante se dit intéressée,
souvent sous certaines conditions à l'idée de s'engager en première, dans une
option « légère », voire plus conséquente, de philosophie. Sur 152
réponses, entre 55 et 52 élèves souhaiteraient poursuivre, sous une forme ou
une autre, alors que 85 ne souhaitent pas poursuivre, et qu'une dizaine
hésitent. Sur ces 55 élèves, 20 aspirent à poursuivre en première littéraire,
et 33 dans une autre première, générale ou technologique ; deux élèves qui
souhaitent se réorienter dans une filière professionnelles (donc en dehors du
lycée) expriment toutefois le vœu de continuer. Au regard de la qualification
de cette suite, 21 y semblent indifférents, ceux que j'ai nommé faute de mieux)
« indifférents » ou « inconditionnels » : ils ne
posent ni souhait ni condition, ils veulent poursuivre. 31 en revanche
demandent que certaines conditions soient remplies pour poursuivre : 5
voudraient poursuivre en ciné-philosophie ; inversement 26 font le vœu de
changer d'objet ou de méthode. J'ai déjà signalé que ce questionnement (et
l'enseignement d'exploration dans sa globalité) avait au moins eu le bénéfice
de générer une demande de philosophie, en première, qui en ce sens peut-être
prise en compte par l'institution, a minima dans l'établissement
[4].
Des effets en classe de terminale ?
L'un des enseignements de cette année se situe en classe de
terminale, car les élèves qui préparaient le Baccalauréat cette année ont été
les premiers à suivre ces EdE il y a trois ans. Il est certainement aventureux
de tirer des conclusions sur ce que vivent comme expérience les élèves de
terminale et ce qu'ils sont capables de produire ou d'écrire, sans une enquête
plus approfondie. Néanmoins, en travaillant sur des films avec trois classes de
terminale scientifique, je constate un réel saut qualitatif au regard des
élèves de seconde de cette année, ou qu'ils ont été (parmi les élèves que j'ai
cette année en terminale, la moitié avaient suivi mon exploration en EdE). Les
élèves sont beaucoup plus sensibles au film, et ont moins besoin de décrire et
raconter pour entrer dans l'analyse. Vis-à-vis des élèves de terminale des
années précédentes, ils sont beaucoup plus rapidement et pertinemment dans
l'analyse et la réflexion philosophique du film (les films sont les mêmes que
ceux travaillés les années précédentes). Surtout, ces analyses, notamment la
problématisation des situations narrées, la conceptualisation, ont été
nettement complexifiées. C'est aussi la première fois que je leur demande de se
réapproprier de cette manière l'analyse effectuée en cours, et d'en faire une
fiche pouvant nourrir leur réflexion. C'est la première fois également, qu'ils
sont suffisamment mûrs pour réaliser une fiche de film, sur le mode de celles
réalisées à partir du travail effectué en cours, où ils doivent choisir un
film, et assumer de me faire philosopher dessus, autrement dit d'inverser leur
rôle avec leur professeur, en assumant la responsabilité de la charge
philosophique de leur choix, et donc de devenir auteur de philosophie. Est-ce
dû au fait d'avoir fréquenté les EdE deux ans auparavant, ou bien aux
dynamiques propres de ces classes de Terminale, il est difficile d'en décider.
Toujours est-il que nous avons développé collectivement ces compétences (une
première fiche effectuée en groupe, puis une fiche individuelle toujours sur un
film travaillé en cours, enfin une fiche individuelle choisie, avec assez peu
de non rendus).
Cette perspective de développement de compétences en
terminale, a été en partie instrumentalisée pour l'examen : les films sont
analysés comme œuvre, mais il est explicitement demandé aux élèves de réfléchir
ce que le film dit des notions du programmes, dans la perspective d'une fiche
de révision (avec toute la subtile dialectique analyse synthèse que cela
requiert). S'y joue une maturation lente, une forme d'aboutissement dans la
possibilité de s'émanciper du discours légitimant de l'enseignant pour assumer
leurs choix, et j'ose espérer, pouvoir faire de même à l'examen, et surtout
dans la vie hors de l'école, autrement dit avoir pu montrer et expérimenter que
philosopher est une activité inscrite dans la vie ordinaire, et non seulement
une exercice scolaire auquel il faut se soumettre pour pouvoir ne plus y
revenir. Ainsi, peut-être auront-ils fait l’expérience de leur propre puissance
de philosopher, et de la jubilation que cela procure. Je gage, mais il faudrait
sans doute que ce soit un autre que moi qui cherche à le vérifier (j'ai trop
d'intérêt là-dedans), que le travail engagé dès la seconde n'y est pas pour
rien.
Cette perspective tout à fait heuristique pour eux n'est
pas exempte d'ambivalence. En effet, le cours de philosophie perd de sa saveur
pour la plupart d'entre eux dans sa facture classique, et ils réclament que
tout soit traité sous forme de film, car cette forme leur apparaît bien plus
concrète et accessible à la fois, car elle propose une démarche inductive (du
particulier au général), n'est pas neutralisée affectivement, mais au contraire
s'adresse à leur affects (et parfois les manipule), et autorise – et même
encourage – les identifications qui ne semblent pas là un obstacle à réflexion,
mais au contraire un facilitateur. Le plaisir indéniable à passer d'un mode
passif à un mode actif de regard et de réflexion et questionnement, la
construction du commun, dans l'un des rares moments de l'année ou la pensée
collective est véritablement expérimentée comme enrichissante (on pense mieux
et plus à plusieurs que seul), fonctionne comme repoussoir pour une approche
plus classiquement textuelle, « objectivante » (i.e. désimpliquée),
globalement déductive. J'y ajouterais volontiers l'hypothèse que la médiation
des films permet de surmonter ce que Serge Boimare nomme la « peur de
penser »
[5], à
savoir que certains jeunes préfèrent court-circuiter, ou disjoncter leur capacité
réflexive, car elle exige d'eux d'entrer dans une zone d'incertitude et de
questionnement, de doute, qui réveille des angoisses qu'ils ne peuvent
supporter d'affronter. D'une manière globale, certains élèves tant de seconde
que de terminale me semblent relever d'un refus de penser que l'on peut
assimiler à cette perspective. Le film fonctionne alors peut-être comme les
mythes dans la démarche de Boimare,qui apprend à lire à ces jeunes de dix ou
douze ans, à travers ces récits imaginaires, qui parlent de leur peurs, sans
parler d'eux, qui médiatisent l'objet de leur angoisse, permettant que ce qui
était brûlant devienne chaud et appréhendable. En ce sens, on peut gager que le
film joue bien son rôle de mythe moderne.
Toutefois,
certains autres élèves, parfois les plus scolaires, rejettent ce recours trop
important au film, et réclament leurs nourritures spirituelles textuelles, et
craignent sans doute de payer à l'examen les choix pédagogiques de
l'enseignant.
Des questions et des enjeux en suspens
Comment rendre cette exploration moins discriminante ?
Comment ne plus valider les pronostics inégalitaires, et les « destins
scolaires » tracés depuis le collège (ou même avant) ? Comment
permettre d'accrocher ceux que l'école accroche le moins ? L'ambivalence
d'un rapport au savoir ascolaire scolaire, ou d'un savoir scolaire
« déscolarisé » est symptomatique de la manière dont cet enseignement
d'exploration achoppe à accrocher des élèves en délicatesse avec les codes et
le projet de l'école, voire en souffrance avec l'école.
Toutefois, le travail sur les films me semble plus
précisément marqué par une ambivalence, en un sens positif : même sur des
films appartenant à « l'histoire du cinéma », le refus des enjeux
scolaires n'est que rarement absolu et définitif : le film reste un
formidable accrocheur. L'attention à leur concentration, lors du visionnage,
souligne des moments de déconcentration et de digression/divertissement, mais
d'autres qui rassemblent l'ensemble des élèves, les moments de tension, de
suspens, de dénouement violent, etc. Ces micro-événements sont
symptomatiquement des moments d'accroche que les textes ou les notions
classiques de notre enseignement rendent rarement possible, sans doute par la
projection identificatoire, par la captation affective dont le film est le
procès. « Ça pense » en regardant le film, et les élèves ne se
défendent pas de penser ce qui se joue là, même s'ils en récusent l'intérêt
académique ou scolaire, je ferais l'hypothèse qu'il y a toutefois à l’œuvre une
observation de ce qui se passe. Cela peut amener certains de ces élèves
« résistants » à entrer dans ce qui cherche à se jouer, à témoigner
combien leur expérience du regard sur les films a été modifié, à leur corps
(esprit) défendant. Il n'en reste pas moins qu'il faudrait pouvoir tester ces
intuitions, les affiner si elles s'avèrent pertinentes, et travailler à comment
rendre moins discriminantes ces pratiques enseignantes qui se veulent
« inclusives », accueillantes, car ne partant d'aucun présupposé (le
réel travaillé est celui commun du film), explicité collectivement, et
s'enrichissant (et non pas s'appauvrissant) des hétérogénéités des élèves.
Comment travailler la spécificité du rapport à l'écrit que
doit développer le lycée, sans les assommer d'écrit ? Il est d'usage en
philosophie de le déléguer aux enseignants des autres disciplines, et de se
plaindre en terminale que les acquis réflexifs et la maîtrise de la langue manquent. Comment pouvons-nous le prendre en
charge, non pour préparer nos élèves à la terminale, mais pour penser et
déployer cette puissance de l'écriture (non distinguée de la lecture ici) qui
nous a nourri dans nos choix d'étude, et qui devrait pouvoir irriguer ces
jeunes personnes en formation ? Quelles explorations pouvons-nous promouvoir
de la culture écrite dans une pratique de ses virtualités ? Il me semble
qu'il y a là un beau défit à relever.
Annexes
Annexe 1 :
Questionnaire
de fin février 2014[6] :
E d E
Philosophie - Littérature
Nom &
prénom :
Classe :
1/ Que
pensez-vous de ce cours ?
Expliquez
pourquoi ?
2/ En quoi
est-il formateur pour vous ?
Expliquez
pourquoi ?
3/
Souhaitez-vous poursuivre l’an prochain ?
Sous
quelle forme ? Expliciter
Je n'ai pu réellement travailler à ce jour que la dernière
question du questionnaire : « souhaitez-vous poursuivre l'an prochain
l'exploration de la philosophie ? Sous quelle forme ? Expliciter
votre réponse ».
J'ai
obtenu 152 réponses sur les cinq classes questionnées. On peut présenter sous
forme de tableau les réponses aux questions.
Classes
|
2nde 5
|
2nde 6
|
2nde 7
|
2nde 12
|
2nde 4
|
Total
|
Élèves souhaitant poursuivre la philosophie en
première :
- en première littéraire
- dans une autre première
- réorientation en filière
professionnelle
|
2
8 ?
|
0
|
8
9
1
|
3
11
1
|
7
5
|
55/152
dont
20
33
2
|
Inconditionnellement
|
3
|
0
|
6
|
7
|
5
|
21
|
Sous condition :
|
|
|
|
|
|
|
- poursuivre la démarche de ciné-philosophie :
|
0
|
0
|
2
|
2
|
1
|
5
|
- explorer autre chose :
|
7
|
0
|
8
|
5
|
6
|
26
|
Élèves hésitant
|
|
1
|
2
|
7
|
1
|
11/152
|
Élèves ne souhaitant pas poursuivre en classe de
première :
|
21
|
26
|
15
|
12
|
11
|
85/152
|
Non réponse
|
|
|
1
|
|
|
1/152
|
Total de réponse par classe
|
31
|
27
|
36
|
34
|
24
|
152
|
Remarques et
éléments de lecture du tableau, et sur le questionnaire :
- En seconde 4
et 6, il y avait beaucoup d'absents ce jour là, en voyage scolaire en seconde 4
avec les correspondants italiens, et du fait que l'EdE Philosophie littérature
était le seul cours de la matinée, du fait de l'absence d'un collègue. Les
classes excèdent toutes 30 élèves.
- Un grand
nombre des élèves de seconde 5 n'ont pas répondu quant à la filière désirée,
d'où l'interrogation sur le choix de première. Il faudrait sans doute reprendre
le questionnaire au regard des fiches du conseil de classe de second trimestre
(contemporain du questionnaire).
- Il a été
difficile de classer certaines question, qui commençaient en « pourquoi
pas », et se poursuivaient par un argumentaire semblant exprimer une
demande de philosophie. D'où la rubrique sur l'hésitation.
- Parmi ceux qui
souhaiteraient continuer en première, certains ont précisé à quelle conditions,
ou dans quel contexte. Pour poursuivre sur un objet cinématographique, ou
surtout pas. Dans ce dernier cas, ils expriment une demande philosophie :
soit de travailler sur des textes philosophiques, soit sur des notions ou des
phrases philosophiques, soit encore en précisant des modalités : faire des
débats ou des discussions, ou en demandant explicitement une préparation à la
classe de terminale, dans une forme plus scolaire. Certains de ceux
comptabilisés comme sans condition, hésitent entre différentes formes :
autre chose, ou tout aussi bien le cinéma.
- Certains
élèves ont demandé si c'était anonyme, et souhaitaient que cela le soit. En
raison de la dernière question, je préférais que cela ne le soit pas.
- Quelques rares
élèves disent vouloir aller en filière littéraire pour faire de la philosophie.
L'exploration semble avoir jouer son rôle en ce qui concerne leur orientation.
·
Certains voudraient poursuivre, mais avec
davantage d'heures en première : 2 ou 3 heures (ils sont 4 en seconde 7 à
le réclamer, aucun dans les autres classes).
Il reste à faire
l'analyse du caractère formateur de l'Enseignement d'exploration, ainsi que de
ce qu'il invite les élèves à penser : « que pensez-vous de ce
cours ? ».
Annexe 2 :
Questionnaire de classe de terminale avril 2014 :
Fiche de révision sur un film engageant
une réflexion philosophique
Film choisi :
1/ Synopsis relevant les éléments dramatiques essentiels, et les
points d’ancrage d’une réflexion philosophante.
2/ Quelles réflexions et quels questionnements soulève ce film ?
Expliquer pourquoi.
3/ Comment traite-t-il de notions au programme ? Il s’agit de se
placer dans la perspective d’une fiche de révision, donc d’être capable de
mobiliser la référence du film philosophiquement indépendamment de son
contexte, pour une dissertation, voire une explication de texte)
4/ En quoi cet exercice est-il formateur ?
5/ Que souhaiteriez-vous ajouter ?
Annexe 3 :
Traces de cours d'une classe de
seconde, en avril 2014 :
Philosophie : Spartacus,
Kubrick
Réalisé en 1960, le projet était
à la base dirigé par Anthony Mann. C'est Kirk Douglas qui met Kubrick à la
réalisation, ayant déjà travaillé pour lui dans Les sentiers de la gloire.
17/10/13
Scène d'introduction : - Voix
off situe le contexte historique et géographique : on va de la présentation
général à Spartacus (dézoom). Elle annonce aussi le venue prochaine de la
dictature romaine (empire) et de la création de la chrétienté. Elle critique
la société romaine. Le point de vue est omniscient et objectif, la
voix off est celle d'un historien, deux mille ans après l'action racontée : Le
regard est donc contemporain. L'esclavage est présenté comme maladie de
l'empire romain, on annonce qu'il va être aboli seulement 2000 plus tard.
La
scène se passe en Lybie, au Ier siècle avant J.C, sur une mine à ciel ouvert.
Elle présente aussi Spartacus comme fier et rebelle à l'autorité.
Après
la voix off, on voit agir Spartacus comme il a été décrit. Il porte secours à
un esclave tombé en arrêtant son travail. Pour Spartacus, les hommes sont donc
plus important que le travail, c'est pourquoi il fait preuve d'une attitude
solidaire.
Les
gardes exigent son retour au travail. Face à cette inhumanité, Spartacus se
révolte et renvoie leur violence aux gardes, semblant prêt à aller jusqu'au
bout. Il ne semble pas avoir peur de mourir et va être condamné à mort pour
l'exemple.
14/10/13
Trois autres scènes : scènes 3
à 5
1ere – Un homme arrive qui
cherche à acheter des hommes en bonne santé. Il vérifie leur état de santé en
regardant les dents des esclaves, leur réactivité (tonus musculaire). Il est
aussi intéressé par leur agressivité, ce qui ne peut être compris que la scène
suivante après quand on découvre qu'il cherchait des gladiateurs. Il est donc exigeant. Cet homme se nomme
Lentulus Batiatus. Les esclaves se déplacent, ils traversent la Méditerranée
(scène avec une galère).
2eme scène : Scène quatre
– On découvre que les esclaves sont amenés dans un camp d'entraînement de
gladiateur, un Ludus. L'entraînement de Spartacus doit être particulier, car il
faut développer son agressivité sans qu'il se rebelle. Le camp est dirigé par
Marcellus, ancien esclave. Batiatus leur fait un speech sur leur bonheur en
tant que gladiateur. Il dit toutefois que seulement la moitié d'entre eux
peuvent espérer vivre entre cinq et dix ans et leur donne l'espoir de devenir
peut-être un jour entraîneur, comme Marcellus, exemple de la réussite du
gladiateur. Il précise qu'ils ne combattront pas avant d'être vendus à
"des hommes et des femmes de goût appréciant une belle mort", ce qui
veut dire que leur mort, programmée, est présentée non pas comme ayant du sens
mais comme un spectacle sensé divertir des gens "raffinés", des
riches. La contrepartie de cette mort annoncée est que durant leur courte vie
ils seront des esclaves de luxe. La perspective de l'émancipation est toutefois
un espoir sur lequel insiste Batiatus mais est globalement une illusion,
poussant les gladiateurs à être dociles et motivés.
3eme scène : Marqué au fer
rouge : Les esclaves sont marqués au fer rouge, relégués au rang de bétail,
ce qui contraste par rapport à la scène précédente et prouve que les esclaves
sont des choses pour leur maître.
21/10/13
: scène 6 à 8
Marcellus
tente de crée un déséquilibre factice en donnant un glaive à Spartacus (la
forte tête des mines). Il veut en faire un exemple : la forte tête ne peut pas
le vaincre, personne ne peut. Il essaie aussi de casser Spartacus en lui
donnant une chance avant de l'humilier. Mais Spartacus ne riposte pas et prouve
ainsi son intelligence. A l'inverse de Batiatus, Marcellus déclare que
l'intelligence est un défaut pour être un esclave, car un esclave intelligent
peut penser à la liberté. Cette scène montre bien l'avancement du personnage
: au début, il se rebellait et a été condamné à mort, à la sixième scène il ne
répond pas aux coups. Il appris à se contrôler. Il est devenu maître de
lui-même, et enlève donc du pouvoir à son maître. Il est en combat
intérieur avec lui-même, son intelligence contre son émotion, sa colère, sa
violence. Il en sort plus libre. Ses maîtres et ses émotions ont moins
d'emprise sur lui.
Lors
de la scène du bain des gladiateurs, Spartacus demande son nom à un autre
gladiateur. Celui-ci lui répond qu'il ne veut pas savoir son nom, ni lui le
sien. Il ne doit pas avoir d'amitié pour éviter un dilemme dans les
arènes : survivre ou aider son ami, qui pourrait te tuer lui-même. Spartacus,
porté sur l'amitié à la première scène, est donc contraint à rester seul
A
la scène suivante, Spartacus découvre la sensualité, quand Varinia est
amené dans sa chambre. On redécouvre l'humanité de Spartacus, qui ne se jette
pas sur elle, annonce sa virginité et essaie de lui faire comprendre qu'il
préfère qu'elle prenne une initiative. Il la touche de manière ambigu, on se
demande s'il va l'étrangler ou continuer à la caresser. Elle finit par enlever
sa robe, mais Marcellus et Batiatus interviennent. Ils regardent par les
barreaux au-dessus de la cellule et humilient Spartacus qui se refuse à
continuer. Leur voyeurisme est presque le nôtre, l'interrogeant sur ses
envies.
28/11/13
:
La
séquence montre une succession de scènes qui s'alternent rapidement entre entraînement
(esclaves deviennent gladiateur : une routine s'établit, ils prennent des
habitudes de guerrier), repas et nuit, nuit qui est supprimé après la première
répétition. Le quotidien des gladiateurs est suivi de moments
d"intimité" avec Varinia lors des repas. Leur amour se
développe par le regard, puis par la parole, discrète, et finalement par le
toucher (une caresse). Marcellus humilie Spartacus lorsqu'il remarque
qu'il regarde Varinia : il le traite de voyeur impuissant, tout en le peignant
en rouge, symbole de mort dans son code couleur. Le développement des gladiateurs
est mis en parallèle avec le développement de l'amour entre lui et Varinia, qui
est frustré par Marcellus.
L'arrivée
de patriciens romains, dont Crassus, extrêmement riche, rompt le quotidien :
les gladiateurs font devoir faire un combat à mort, une exception dans l'école.
Crassus étale sa richesse, ce qui impose le silence à Batiatus. Vient ensuite
le choix des gladiateurs, qui se fait sur l'esthétique et non sur la compétence
: c'est un choix de femmes. Elles désirent qu'ils soient le plus dénudé
possible. Le plaisir du spectacle, presque érotique, allie la violence
et la mort. C'est donc une autre réflexion sur le voyeurisme, n'y a-t-il
pas plaisir malsain à regarder des gens se battre ? Batiatus est mécontent du
choix, il aurait préféré les moins compétents, moins chers.
Le
film prend une tournure politique lors de la discussion entre les patriciens et
Batiatus, à propos du buste de Gracchus, ennemi politique de Crassus. Les
personnages ont donc des plaisirs de riches. Varinia intervient pour servir de
l'eau et est vendu à Crassus, qui la méprise mais la trouve belle. Il y
a un décalage entre Batiatus, qui lui dit de remercier les dieux pour sa
chance, et elle, qui est triste de quitter Spartacus.
19/12/13
:
Scène
du combat des deux premiers gladiateurs, amis. Dans la cage, il y un contraste
entre la terreur des gladiateurs et les propos des romains, mondains. Il y a un
désaccord entre la gravité du moment vécu par les gladiateurs et ce que vivent
les riches.
Premier
combat entre Craxus et Gallino, quasiment hors-champ. La musique sombre,
presque une marche funèbre, continue comme au début de la scène. Dans la
cage, Draba reste étrangement impassible alors que Spartacus montre son
angoisse. Ils peuvent réfléchir à ce qu'il va se passer, ce qui peut-être pire
que d'être lancé directement à l'attaque.
Deuxième
combat préparé par les deux scènes précédentes. De plus, il y avait eu d'autres
rencontres entre Draba et Spartacus : au début quand il lui disait de ne pas se
lier d'amitié avec les autres, puis pendant l'entraînement où Spartacus prenait
l'avantage sur lui. Il y un surcroît de dramatisation amené par
l'arrivée de Varinia, qui risque de perdre son amour, et par la musique, dont
le thème est de plus en plus fort. A la sortie des gladiateurs, un plan montre
la pyramide social : au premier plan, les gladiateurs, au second les hommes
libres non maîtres (dont Marcellus), et au dernier plan les riches. Le combat
est déséquilibré, lance et filet (rétiaire) contre petit bouclier et petite épée
(thrace hollywoodien). Ils se désarment au fil du combat, le combat
s'équilibrant. Spartacus est vaincu et se résigne à mourir. Mais Draba refuse
de tuer son adversaire et attaque les romains. Il n'est plus un jeu à regarder,
sans importance pour les spectateurs, et cherche à prouver son indépendance. Il
est devenu libre, de la peur de mourir car il ne craint pas les
représailles et du joug de ses maîtres car il les attaque. Il choisit ce qu'il
veut faire et ne peut plus être commandé, il choisit de se sacrifier
pour Spartacus. Il fait ainsi une différence entre son adversaire, qu'il
ne tue pas et qui peut être son ami, et son ennemi, qui lui veut du mal.
Il répond à la question : "Que vaut une vie d'esclave où l'on vous
contraint à tuer vos proches ?" en choisissant de mourir libre plutôt que
de vivre soumis. Ses idéaux ont plus d'importance que sa vie. Il lutte pour l'égalité entre les hommes, le
refus que certains puissent décider que la mort d'un autre est un spectacle.
Le
soir, les maîtres décident de le pendre par les pieds jusqu'à ce qu'il
pourrisse afin qu'il serve d'exemple. Les gladiateurs, eux, réfléchissent au
sens de ce sacrifice, pourquoi n'aurait-il pas fait la même chose. Même si
Draba pouvait paraître cynique ("je ne m'attache à personne"), il
cachait de l'humanisme.
09/01/14 :
Rébellion :
dimension politique, aspect de groupe
Révolte :
elle peut être solitaire
Varinia,
vendu à Crassus, part pour Rome. Marcellus apprend à Spartacus ce départ, le
provoque, le fouette. Ce dépit et cette violence le pousse à penser qu'il n'a
plus rien à perdre et agresser Marcellus, ce qui pousse les autres esclaves à
agir. S'il avait agit seul, il se serait très vite retrouvé maîtrisé : il ne
doit son salut qu'à l'intervention des autres. Seul, il eut été impuissant, son
geste de révolte ne peut s'accomplir que parce qu'existe un collectif
solidaire. La mort de Draba, qui fut longuement et silencieusement
réfléchi, semble ne pas avoir été vaine. Son sacrifice a permis de fédérer
le sentiment d'oppression des gladiateurs ainsi que l'absurdité de leur
condition. Il a cristallisé le collectif d'esclaves. La formation des
gladiateurs est abouti puisqu'ils peuvent venir à bout de leurs gardes ; ce
collectif d'hommes est dangereux, surtout qu'il risque de n' être gouverner par
aucun et d'aspirer à une vengeance violente vis à vis de ses anciens maîtres.
Batiatus quand à lui s'enfuie avec Varinia, en tentant de sauver la face, alors
qu'en fait il a seulement peur des esclaves.
Scène
du sénat à Rome. (dédicace Charles Laughton !) On passe d'une
révolte dans une maison à un conseil du sénat, ce qui montre l'évolution de la
gravité de la situation. Le rapprochement géographique entre Capoue et Rome
rend aussi la situation plus critique. Cette révolte ruine certaines personnes
dans cette région à cause des pillages et des incendies provoqués par les
esclaves, ce qui peut laisser envisager une famine à Rome. Une autre peur
apparaît : celle de la propagation de la révolte : il y a beaucoup plus
d'esclaves à Rome que de Romains. Le vieux sénateur (Charles Laughton),
Gracchus, manigance pour éloigner Crassus de Glabrus, en envoyant ce dernier
combattre la révolte, pour favoriser son camp politique. Il envoie 6 cohortes
(entre 3000 et 6000 hommes) de la garnison, une milice. Le sénat décide de ne
pas rappeler les légions sur les fronts en Espagne et en Syrie (Mithridate).
Cette scène introduit dans la politique romaine, et montre l'impact de la
révolte économique et politique, ainsi que les rapports entre les deux groupes
politiques romains, plébéiens et patriciens, montrés par Gracchus et César
d'une part, par Crassus et Glabrus. La société romaine a peur d'une autre
guerre civile, après celle de Sylla et Marcus.
16/01/2014
: (rendu des copies)
Importance de
la projection d'un imaginaire (quels types d'histoire on aime raconter, donc
voir ?), de la qualité et du sérieux de l'élaboration littéraire (situations
dramatiques mises en œuvre, capacité à complexifier l'intrigue, invention de
personnages crédibles, mises en œuvre des codes du genre, pertinence du propos,
vraisemblablité : peut-on s'identifier suffisamment pour se laisser embarquer
dans l'histoire)
Analyser
une scène ou un personnage, diffère de raconter ou décrire :
- se demander ce qui manquerait si
le personnage ou la scène disparaissait (fonction, quel sens permet-il de
découvrir ?)
- saisir, par les situations et
les dialogues, les questionnements ou réflexions auquels la scène et le
personnage nous invitent.
23/01/2014
:
Les
gladiateurs, enfin libres, ne savent pas trop quoi faire, et sont condamnés à
piller les environs pour se nourrir (ce qui peut devenir problématique). Ils
ont inversé leurs rôles avec les romains, qu'ils maltraitent et font combattre
dans l'arène. Le retour musical quand Spartacus rentre dans son ancien cachot
est le même que celui de ses rencontres avec Varinia. Ce moment sans paroles,
oasis dans la bavarditude du film, fait réfléchir à ce que pense Spartacus. Il
se recueille sur la mémoire de Draba (la corde où il était accroché) et
de Varinia (dans sa cellule avec la musique). Spartacus, après avoir fait
resurgir le geste de Draba, s'opposent aux autres gladiateurs qui cherchent
seulement à se venger. Il veut aller plus loin dans leur révolte. Le
combat des nobles romains n'est d'ailleurs pas forcément intéressant pour des
hommes aguerris au combat. Les gladiateurs se sont mis dans le rôle des
dominants. Ils asservissent leurs anciens maîtres, les humilient. Etant souvent
des anciens soldats, les gladiateurs sont souvent méprisés, ce qui rend
l'humiliation encore pire pour les romains. La contre-plongée sur Spartacus et
son approche des dangers (épées des romains et de Crixus) montre qu'il s'impose
comme un chef ; il prend des décisions à l'encontre du groupe mais ce
dernier le suit. Toutefois le leader rival potentiel, Crixus, propose un
défi à Spartacus (de manière caché) et s'oppose à lui, en invoquant à tort
la mémoire de Draba. Il dit que Draba doit être vengé, par l'humiliation
des romains, alors que Spartacus dit qu'on ne devrait jamais regarder deux
hommes se battre à mort pour le plaisir d'autres. Il invoque une promesse de
Draba, que ce dernier n'a pas formulé. Spartacus finit par vaincre Crixus par
la parole, alors qu'il pouvait se faire tuer par ce dernier : le commandement
n'est pas basé sur la force, mais aussi sur la capacité à penser pour les
autres. Spartacus devient le chef d'un groupe d'hommes libres en leur
proposant un projet d'avenir commun (res publica). Spartacus propose de libérer tous les esclaves qu'ils peuvent,
d'en faire une armée de gladiateurs, d'esclaves (projet militaire), et de créer
une société libre en fuyant de l'Italie par la mer. Ce projet semble utopique.
En effet, Rome contrôle le pourtour méditerranéen et aucun peuple n'accepterait
de leur donner des terres, ce qui les empêcherait de réaliser leur projet. De
plus, ils pourraient avoir du mal à vaincre les soldats romains qui leur
seraient envoyés.
30/01/2014
:
Les
gladiateurs suivent le projet de Spartacus, libérant des esclaves sur leur route
vers le Vésuve. Spartacus finit par retrouver Varinia, qui s'est enfuie grâce à
la lenteur de Batiatus. Leur nombre augmentant, ils doivent piller (fumée à
l'arrière plan). A leur rencontre, ils laissent partir le groupe : tout deux
sont surpris, Spartacus est sans voix (pas d'éducation sentimentale), Varinia
pleure. Elle est la première à parler et prend en main l'entretien, racontant
ce qui s'est passé. Ils échangent ensuite leur "consentement" (ils ne
se quitteront pas, ne se sépareront pas) qui correspond à une sorte de mariage.
La scène se finit dans l'hilarité devant l'incapacité de Batiatus à rattraper
Varinia, ils sont supérieur à lui, et devant leur joie de se retrouver. Elle va
répéter les propos de Spartacus, ce qui montre leur liberté de parler et lui
ordonne de lui interdire quelque chose (paradoxe du mariage), ce qui peut se
comprendre comme un échange de consentement.
Conjugal
: qui partage le joug. con :avec / jugal : joug (collier des
boeufs qui permet de les atteler). Le mariage est un des rares moments où l'on
est heureux de perdre sa liberté.
06/02/14
:
Gracchus et
Batiatus, Crassus et Antoninus, discussions sur les vices et vertus amoureuses
romaines.
Ces
scènes, après les furies et la politique, rentre dans le privé des romains. Les
deux ont une perception de l'amour différente de celle de Spartacus (plus pur
car non consommé). Gracchus est entouré de femmes et n'est pas marié, alors
qu'il couche avec la plupart des femmes qui l'entourent. La question se pose de
savoir si c'est un vice (opposé à la vertu, excellence morale en grec, comme
le courage, entre lâcheté et témérité). Ici, on cherche à savoir si la
sexualité est soustraite à la morale.
Gracchus n'est pas dans le mensonge, car il ne se marie, et se déclare plus
vertueux que Rome, qui infléchit le monde. Son vice serait de ne pas respecter
le mariage (important pour la continuation du patrimoine agricole romain),
il ne considère pas ses compagnes comme des personnes. Gracchus est un
libertin. Cette scène montre aussi le lien entre sexualité et pouvoir, car
Gracchus peut satisfaire ses désirs grâce à son argent et son pouvoir. Les
femmes ne sont pas libres de leurs désirs, entre le chantage, la prostitution
et le viol. Il y a aussi une réflexion sur la corpulence, qui est dit amener la
méthodicité et le calme ou tempérance (voire la philosophie, mais qui traduit
l'anglais « flegmatic »).
La
deuxième scène, lourde de sous-entendus sexuels et de métaphores, sert à
annoncer la bisexualité de Crassus. Ce dernier l'annonce à Antoninus, son
esclave, qui le comprend et décline ses propositions de la même manière, par
sous-entendus. Ces derniers servent à contourner la censure car elles gênent
les bonnes moeurs de la société. Crassus demande si l'homosexualité est une
question de morale ou de goût. Il explique plus ou moins à Antoninus ce qui
l'attend. A la fin de l'entretien, ce dernier annonce qu'il n'aime pas les
hommes (les escargots) et Crassus, qu'il aime les deux. Puis il montre Rome à
Antoninus, et dit qu'il faut qu'il lui obéisse et qu'il n'a pas le choix.
Antoninus s'enfuit. Crassus emploie donc violemment son pouvoir en dominant
les autres, ce qui semble un vice. Il apparaît moins sympathique que
Gracchus.
Des
déclarations de Varinia et Spartacus à cette dernière scène, on voit une
déchéance de l'homme due au pouvoir, qui amène une plongée dans le vice. Le
film condamne donc le pouvoir.
20/02/14
:
Scène
de la constitution d'un peuple libre : les gladiateurs mettent leurs
plans à exécution en accueillant tous les esclaves enfuis sur les pentes du
Vésuve (réalité historique : les esclaves ont été informés et se sont ralliés à
lui). Ils forment une petite société qu'il faut organiser, nourrir, préparer à
se défendre et qui doit être entraîné à devenir une armée de gladiateurs. Ce
projet militaire se conjugue à un autre projet, d'émancipation démocratique,
qui semble entrer en concurrence avec le projet militaire : un projet militaire
demande des hommes forts et entraînés, un commandement et des hommes qui
obéissent. Le projet libérateur de Spartacus devrait accueillir toutes les
bonnes volontés dans un souci d'égalité et accueille aussi les enfants et les
femmes, les vieillards, bouches inutiles ne pouvant plus produire, mais ayant
le droit de vivre libre.
20/03/14
: De l'utilité sociale des non-producteurs, des gens de culture
Dans
la première scène, on voit qu'Antoninus est important pour la société, même
s'il ne fait rien de concret, en amusant les hommes, en les divertissant. Dans
la seconde, Spartacus dit qu'il ne peut être vraiment libre en étant ignorant.
D'un
point de vue étymologique, loisir en grec se dit skolé, d'où un rapport
entre l'école et l'absence de travail, qui donne une autre option de vie au non
producteur.
Le
travail d'Antoninus est de distraire les esclaves, ils rient donc à des choses
légères, comme devant le fait que Spartacus se ridiculise en cassant un œuf
plein, et accepte de rire avec les autres. Antoninus sert aussi les desseins de
Spartacus, en évoquant la nostalgie du pays de l'enfance dans son poème
("I turn home"). Les artistes donnent du plaisir, de la beauté et du
sens à la vie. Spartacus comprend qu'en plus d'apprendre à se battre, il leur
faut une culture commune.
A
partir de cette expérience, de la déclaration d'Antoninus voulant se battre
malgré son raffinement. Spartacus comprend qu'il risque de former une société
de brutes ne voulant que tuer, alors qu'il voulait aussi former une société
agréable. Il y a un temps pour se battre et un autre pour se cultiver. Il voit
que l'ignorance est privative de liberté et qu'on peut ressentir le désir
d'apprendre. Sans accès à la culture, on n'est pas vraiment humain (les bêtes
peuvent apprendre à se battre). Même si cette affirmation est discutable, elle
réactive la frontière humain / animal ("I'm not an animal"). Se
rejoignent alors émancipation (liberté) et humanisation.
Socrate
est évoqué (en référence implicite). Il est le premier des philosophes (et donc
Spartacus, en le citant, en devient un). Il remet en cause la vérité des gens,
critique, dérange : il est condamné à mort en -399. Sa vie est reprise dans des
dialogues philosophiques écrits par Platon, qui le fait revivre de cette façon.
Dans Le banquet, il raconte qu'Eros est né en même temps qu'Aphrodite,
de Poros (expédient, solution rusée) et de Pénia (misère) ; il serait vivable
tantôt comme un manque, une souffrance, tantôt comme chercheur d'une solution ;
il le compare à un philosophe : entre le savant et l'ignorant, il a le désir
d'apprendre. Socrate résume sa pensée, sa philosophie par "tout ce que je
sais, c'est que je ne sais rien", et donc qu'il a le désir d'apprendre.
Cette
formule caractérise aussi Spartacus, qui déclare ne rien savoir.
25/03/2014
:
Un
émissaire des pirates ciliciens, Tigranus Levantus, arrive au camp de Spartacus
pour lui proposer leurs services (il a été invité par Spartacus). Spartacus
déclare vouloir acheter 500 bateaux et est prêt à les payer. A cette époque,
les deux puissantes armées e leurs glorieux généraux sont loin de Rome, celle
de Pompée en Espagne et celle de Lucullus en guerre contre Mithridate (Turquie
et Syrie actuelle). Spartacus commence par racheter ses esclaves en chaise à
porteur. Il est prêt à payer le prix fort et verse un acompte pour s'assurer
que les pirates réuniront leur flotte ; il les rassure sur leur solvabilité :
les richesses payées servent au collectif et forment un butin important.
Tigranus
doute de leur capacité à accomplir leur projet, et demande à Spartacus pourquoi
ils se battent en étant presque sûr d'échouer. Spartacus lui rappelle qu'ils
n'ont rien à perdre, Rome devant les tuer de toutes façons. Il lui rappelle que
quand on n'a plus peur de mourir on est un homme plus libre, évoquant la leçon
amenée par le sacrifice de Draba. Il dit qu'un homme libre perd son plaisir et
que l'esclave perd sa souffrance. Un esclave n'a pas d'existence propre, il est
l'objet d'un autre, il se réapproprie sa volonté en se libérant. Il n'y aura
pas de demi-mesures, ce qui fait qu'ils ont plus de chances de réussir,
n'hésitant pas.
On
apprend aussi que les romains font courir le bruit qu'il est noble, pour cacher
l'humiliation provoquée par la défaite face à un simple esclave. Il aurait pu
être un noble Thrace vaincu devenu esclave, mais le fait qu'il ne sache pas
lire s'oppose à cette rumeur.
Après
le départ de Tigranus, Spartacus apprend que les romains s'approchent et ont
négligé leur défense, les méprisant. Les esclaves attaquent donc de nuit pour
éviter d'être piégés et détruisent le camp romain (fait non historique, les
romains ayant en vérité construit une palissade). On ne voit pas la bataille,
mais le camp romain détruit, en flammes. Leur victoire leur permet de prendre
les armes des romains, ce qui fortifie l'armée de Spartacus. Ils ont donc
théoriquement accès à 3000 (6 cohortes) armes et équipement. Dans cette
perspective, le feu répandu dans le camp est cinématographiquement marquant et
réussis (scène de nuit, le contraste est maximal), mais militairement stupide :
il détruit un équipement précieux pour le peuple libre naissant, et la campagne
qui l'attend.
Glabrus
est humilié par Spartacus, qui montre son mépris pour la puissance romaine en
brisant le symbole de son pouvoir et en rappelant sa tentative de fuite. Les
romains sont entièrement humiliés, ayant
été vaincu par leur complexes de supériorité. Spartacus énonce toutefois ses
objectifs militaires, en reprenant ses caractéristiques de leader devant
Glabrus.
27/03/2014
: l'exode de l'armée des esclaves et les intrigues politiques à Rome
Petit
rappel de l'Exode, Moïse, fuite d’Égypte. Moïse est élevé comme le frère du
futur pharaon, prend conscience de ses origines et fait fuir les hébreux hors
d’Égypte, en passant par la mer Rouge et le désert du Sinaï pour aller en Terre
Promise.
Il
y a donc un rapprochement à faire entre la fuite de Spartacus, qui libère les
esclaves et cherche à assurer leur liberté en passant par la mer, et l'Exode, à
la différence que l'Exode est dirigé par une volonté divine. (Cf. Par exemple
un péplum de l'époque, Les dix commandements, de Cecil B. de Mille, avec
Charlton Eston)
Spartacus
apparaît sous la figure d'un Moïse désacralisé, laïque parce que seule
l'égalité (immanence, même degré de réalité) l'intéresse, à la
différence de la version religieuse (dieu supérieur, transcendance,
différents degrés de réalité)
L'exode
de Spartacus semble bien se finir, les esclaves arrivant à la mer en ayant
défait les légions romaines, fêtant la fin de leur voyage et préparant les
embarquements du lendemain. Spartacus et Varinia semblent heureux de la
naissance future de leur enfant, qui naîtra libre. Il incarnera l'héritage
symbolique de ses parents, car il montre que leur révolte pourra avoir une
descendance, un avenir, d'un point de vue physique et idéologique.
A
Rome, la crise créée par la guerre des esclaves produit ses effets et devient
une crise politique romaine. Il est annoncé que le Sénat devrait changer si le
problème n'est pas résolu et pourrait passer du côté des patriciens. Gracchus
dit que Crassus cherche à devenir indispensable, dictateur, en profitant de la
situation pour établir de l'ordre. Gracchus s'y oppose et manœuvre pour éviter
la crise en faisant en sorte que les esclaves puissent partir. Cette idée
offusque le jeune César, qui est courtisé par les plébéiens et les patriciens pour
son rang. Crassus le fait réfléchir aux horizons politiques amenés par la crise
actuelle. César se pose des questions sur la valeur de Gracchus, puisqu'en
faisant affaire avec les pirates il trahit Rome en quelque sorte (pragmatisme
de Gracchus : "si ton ennemi a quelque chose que tu veux, fais affaire
avec lui"). On peut sentir que César n'approuve pas ces propos.
03/04/2014
:
Préparation à l'analyse d'une
séquence ; les esclaves prépare leur fuite. Tigranus Levantus arrive pour leur
annoncer que les légions arrivent et que les Ciliciens ont fui, payés par
Crassus. La situation semble désespérée, Crassus veut le forcer à marcher sur
Rome pour être considéré comme un sauveur. Tigranus lui propose d'amener lui et
ses commandants, en sécurité à l'étranger ; Spartacus refuse cette logique de
dominant (les chefs sont mandatés, mais pas supérieurs, pas des dominants :
leur mandat leur confère une responsabilité, pas un pouvoir), et il annonce
qu'il va marcher sur Rome.
Pendant ce temps, Crassus fait un
discours à Rome promettant de ramener Spartacus et de vaincre son armée.
Spartacus aussi fait un discours, sur la paix qui leur est interdite et sur le
combat qu'ils doivent encore faire, plus près des hommes que Crassus. Suit un
départ ordonné des troupes de Rome, moins ordonné de celles de Spartacus, avec
leurs armes de fortune. Les romains se préparent, changeant de préparation et
annonçant que les légions de Pompée et de Lucullus sont plus proches que prévu,
et pourront faire la jonction le jour de la bataille. Il déclare ne pas
chercher la gloire, mais la fin de la légende de Spartacus. Batiatus lui rend
visite, lui rappelant que Spartacus était celui qu'il a vu dans l'arène et
demandant de récupérer les survivant pour les vendre. Crassus accepte à condition
qu'il reste jusqu'à la fin de la bataille.
Spartacus regarde son camp, les
hommes qui l'habitent, musique douce (thème principal), enfants homme mangeant.
Un enfant demande à sa mère quand ils rentreront chez eux, la mère lui
conseille de dormir. Spartacus a l'air un peu triste. Il parle du bébé avec
Varinia, se déclare un peu vaincu par le nombre d'armées infini. Elle lui dit
qu'il est assez fort pour être faible, après qu'il lui ait dit qu'elle le
rendait faible. Ils disent prier pour un enfant qui naisse libre, se disent à
moitié adieu ; il veut que son fils sache la vérité sur lui, qu'on ne lui mente
pas et dit que tant que l'un d'eux vit, les deux vivront. [Il s'agit des
prises de notes pendant le visionnage, afin de préparer le travail écrit qui suivra,
à rendre. D'où l'aspect très narratif]
Là- dedans, analyser deux scènes
17/04/14
: La fin d'un rêve
La
bataille entre Spartacus et Crassus commence lentement, par les préparatifs,
très clairs, propres, puis la mêlée commune démarre, à l'aide, du côté des
esclaves, de rondins de pailles enflammées. Les esclaves arrivent visiblement à
l'emporter, mais Lucullus et Pompée arrivent. La bataille devient très
confuse. La caméra plonge le spectateur
dans la bataille, très près des soldats, des hommes passent souvent juste
devant, flous. Ce procédé peut se retrouver dans La chartreuse de Parme,
où le protagoniste, Fabrice del Dongo veut rejoindre l'empereur à Waterloo. Il
décrit la bataille, mais il ne voit rien et ne comprend rien. Dans le film la
violence est très théâtralisé, on y voit peu de sang : les critères du
spectateur et la censure ont évolué depuis cinquante ans. Le film est toutefois
en avance sur son temps, Kubrick jouant avec la censure, comme quand Spartacus
tranche un avant-bras. De nos jours, la souffrance est plus explicite, le
rythme plus rapide, en jouant sur les variations de vitesse (ralenti /
accélération, voir par exemple 300). Les préparatifs de la bataille
(disposition tactique sur le champ de bataille) apparaissent assez vieillis,
lents, mais rappellent le western spaghetti (dont la naissance est quasi
contemporaine), et instaure un suspens et une tension. Le nombre de
figurants justifient aussi la longueur de la scène (money money money). La
bataille s'arrête sans qu'on sache comment elle se termine
On revoit
ensuite le champ de bataille, transformé en champ de cadavres et ça a sonné.
24/04/14
:
Après
avoir provoqué Crassus, Batiatus s'est fait fouetter et expulser, il n'a pas
identifié Spartacus. Il eut pourtant pu choisir de le faire. Il est donc
retourné chez Gracchus, et les deux échafaudent un plan pour blesser
intérieurement, intimement, Crassus : Batiatus est chargé d'enlever Varinia. Un
aspect de la scène est basé sur les changements de vertus du vendeur
d'esclave : il se considère comme digne, alors qu'en quelques sortes,
avant, il ne considérait pas les hommes comme étant dignes, achetant et vendant
des esclaves. Devant l'abus de pouvoir de Crassus, il se rend compte que tout
n'était pas forcément question d'argent : il a perdu une partie de sa dignité,
a été considéré comme un moins que ren et meurtri dans sa chair ; il se rend
peut-être compte de ce qu'il infligeait aux esclaves. Mais sa corruption refait
surface quand Gracchus lui donne un million de sesterces pour s'acquitter de sa
tache. Le discours sur les valeurs et vertus est contredit par ce qu'ils
projettent : un enlèvement, un vol. Leur projet n'est pas vertueux : Batiatus
veut de l'argent et Gracchus la chute de son opposant. Les vertus mentionnées
sont donc la dignité, le courage et l'honnêteté, quand Batiatus avoue
que Varinia était belle. Le bruit court à Rome que Crassus est amoureux d'elle
(pique de Gracchus : "pour une fois il est amoureux de quelqu'un d'autre
que de lui même (évocation du narcissisme de Crassus). Sauvons-le de cette
agonie !"). On passe du récit à la négociation entre les deux. Gracchus
annonce qu'il n'a plus de pouvoir sur Crassus, qu'il a été évincé par lui. Au
lieu de toucher l'homme politique, il va tenter de toucher l'homme, dans son
intimité : frustrer son désir, affecter ses sentiments de tristesse.
César
arrive ensuite, Batiatus s'éclipse : Gracchus est convié au Sénat. Ce dernier
est condamné à l'exil par Crassus. Les relations entre César et Gracchus ont
évolué : alors qu'avant il était le disciple (enseignement poussant à remplacer
le maître, par un parcours plus complet que celui de l'élève : il cherche à
devenir quelqu'un) de ce dernier. Gracchus a éduqué César en politique, il l'a
amené dans le partie des plébéiens alors qu'il était patricien. César, alors
qu'il avait promis de ne pas le faire (scène des bains), a trahi Gracchus pour
garder son pouvoir politique et pour "mieux servir Rome". Crassus l'a
donc ramené, par ses pleins pouvoirs, dans le partie des patriciens. Le
principe du mentor qui disparaît se retrouve dans de nombreuses sagas épiques.
[3] Je
rappelle les conditions d'exercice de ma pratique enseignante : cinq
classes de seconde, soit entre 160 et 170 élèves, plus trois classes de
terminale scientifique, soit près de 105 élèves, donc en permanence, depuis le
mois d'octobre, entre 100 et 250 copies à corriger, pour plus de vingt heures
de cours hebdomadaire en moyenne, d'où une très faible réactivité, et un fort
décalage entre l'écrit.
Libellés : cinéma & philo