Jaumelina Go a présenté son dispositif "journal de philosophie" le 7 novembre 2014, en voici un compte-rendu rédigé par Jean-François Nordmann
Sur Jaumelina
Go /
Le dispositif du « journal de philosophie »
(EPHA, 7-8 nov. 2014)
« Le problème, c’est qu’ils ne savent pas écrire ; le
problème, c’est qu’il ne savent pas lire ; le problème, c’est qu’ils ne
savent rien »
I. Le dispositif du « journal de
philosophie »
Dispositif testé depuis 4 ans en 2nde, 1ère
et Terminale au lycée Cassin de Gonesse (NB : il s’agit d’une 2nde
Arts et d’une 1ère L comportant chacune 1h30 d’« initiation à la
philosophie » aménagée dans le cadre de l’AP) et de Terminales S, ES et
Techno.
Consigne : en 2nde ou en 1ère,
on écrit un article en classe ; en Terminale, en raison des problèmes
d’horaire, on écrit un article chez soi, à rendre au retour de chaque vacance (l’élève
étant informé bien à l’avance et disposant de 9 semaines pour l’écrire). Au
total, il aura donc écrit 4 articles dans l’année (par ailleurs, les élèves
font 6 dissertations ou explications de texte et 3 bacs blanc dans l’année).
Il est obligatoire de rendre un
article, même s’il est de 7-8 lignes.
Si l’élève ne rend rien, « c’est
zéro ». Précision : ce zéro est une note de participation. Une note de
participation impacte la moyenne finale du trimestre en permettant d’arrondir
cette moyenne à la hausse ou à la baisse.
L’expérience montre qu’il n’y a
pas de rendu d’article de 7-8 lignes à partir de la 2e séance.
Les consignes pour la rédaction de
l’article :
- il n’y a pas de consigne
particulière autre que « Ecrire un article à publier dans le Journal
de philosophie » (NB : il n’est pas demandé directement d’écrire
« un article philosophique ») ;
- il est interdit de copier ou de
plagier d’autres textes ;
-
l’article est lu et discuté par les autres élèves dans le cadre du
travail d’édition mené en classe ;
le choix et les corrections pour la publication sont aussi assurés par
les élèves (et par eux seuls) ;
- l’article n’est pas évalué par
le prof. ;
- le texte doit être
dactylographié et envoyé sur une Dropbox ou une adresse mail ou mis sur l’ENT
de l’établissement.
Guidage complémentaire
éventuel :
-
« Il y a déjà 4 rubriques dans le journal : 1°) À voir ; 2°)
Souvenir ; 3°) Le pouvoir de l’image ; 4°) Lecture, mais on peut en
supprimer ou en ajouter d’autres » ;
-
(pour les terminales) « On peut aussi lire un des livres indiqués
dans la liste des ouvrages accessibles en terminale, ou écrire sur l’un€ des 50
films ou œuvres d’art indiquée(e)s sur la liste ; à défaut, on peut
choisir un texte du manuel et le commenter »
Si un élève cherche de l’aide
auprès de la prof., elle répond qu’ils ont à se débrouiller tout seuls ou à
changer de texte si celui sur lequel ils ont entrepris d’écrire est trop
difficile.
Au retour des vacances, on prend 2 à 3h de
cours pour faire le travail d’édition avec les élèves : ils sont regroupés
par 4 ; déroulé en 4 phases :
- pendant 20 à 30’, ils doivent
lire l’ensemble des articles anonymisés en relevant les textes qui leur
plaisent et les textes qui ne leur plaisent pas ;
- puis (fin de la 1ère
heure et 2ème heure) ils discutent dans leur groupe de 4 pour
retenir 5 ou 6 textes à publier et 3 ou 4 textes (éventuellement)
impubliables ;
-
chaque groupe expose aux autres ses choix ; dans cette phase de
retour en commun, l’anonymat est levé pour permettre aux auteurs de pouvoir
répondre éventuellement aux objections qui leur sont faites ;
- (3ème heure) vote à
bulletin secret et à scrutin majoritaire (avec éventuel 2nd tour) pour
les textes à publier.
Consignes pour la discussion et
le vote des articles :
- tout texte a une valeur ;
- on s’intéresse au texte et non
pas à son auteur ;
- on s’intéresse au contenu du
texte et non pas à sa syntaxe ou à son orthographe ;
- on ne se moque d’aucun texte
Une grille de lecture est par ailleurs
distribuée aux élèves, avec 6 entrées : 1°) « Problématisation » ; 2°)
« Argumentation » ; 3°) « Créativité » ; 4°)
« Exploitation des théories philosophiques » ; 5°) « Rédaction » ;
6°) « Autres ».
NB : a) on constate que les
élèves ne veulent pas lire un texte s’il est d’aspect négligé ou comporte de
nombreuses fautes d’orthographe et de syntaxe ;
b) Les textes sont anonymisés
pour suspendre ou réduire les effets des jugements que les élèves portent
individuellement les uns sur les autres. Une des façons de neutraliser ces
effets et de faire discuter les textes d’une classe par une autre classe.
c) Les élèves ajoutent souvent
des items à la rubrique « Autres » de la grille de lecture.
Il est de la responsabilité des élèves (et
d’eux seuls, le prof n’intervenant pas) de vérifier qu’il n’y a pas eu plagiat
- motif rédhibitoire de publication.
Après le vote du texte, on nomme un secrétaire
pour ses compétences orthographiques, syntaxiques et grammaticales. Il doit
corriger le texte avec l’élève sur le plan formel en vue de sa publication,
mais sans toucher au fond même. Le texte est publié en l’état après ces
corrections (et qu’il subsiste ou non des erreurs).
On peut envisager la possibilité que l’auteur
du texte ait envie de le retoucher ou le modifier en son fond suite à la discussion
collective qui a eu lieu.
Réactions :
- beaucoup d’admiration unanimement partagée pour le dispositif et
les effets considérables qu’il produit (et d’abord en qualité des textes
produits par les élèves) … et cela qui plus est en prenant seulement (en
Terminale) « entre 8 et 12 heures par an » de temps de cours ;
- radicalité de l’effacement du
prof qui ne donne pas de consigne ni de sujet ni de conseils, n’intervient pas
dans le vote ni dans la vérification d’éventuels plagiats ni dans la correction
des articles publiés ;
- le dispositif montre
qu’un travail très individuel et très libre peut être libérateur (en contrepied
de la représentation que seul pourrait l’être un travail très collectif et
contraint)
- le bien que cela doit faire aux
élèves que leur travail ne demande pas à être réécrit et corrigé sur le fond
pour être jugé comme bien et à publier.
Question : Pourquoi est-il demandé aux groupes
d’identifier des « impubliables » et d’en faire part aux autres
lors de la discussion collective des articles ? N’y a-t-il pas un risque que se
trouvent « enfoncés » ceux qui savent bien par avance que leurs textes ne
seront pas publiés ?
Réponse J. Go : 1°) de façon
à première vue inattendue, ce ne sont pas les textes des bons élèves qui sont
retenus ; les textes retenus sont en général ceux d’élèves qui n’obéissent
pas aux consignes scolaires, ont de mauvaises notes et ont d’autres centres
manifestes d’intérêt ; 2°) cela
permet à tous de réfléchir aux critères de la publication.
Question :
Réponse J. Go :
Suggestions faites par des participants du
séminaire :
-
envisager de faire produire par les élèves eux-mêmes les entrées ou
critères de la grille de lecture ;
-
envisager un second site de publication où les élèves pourront choisir
de faire paraître les bonnes fiches de lecture, soignées et attentives, mais jugées
trop « scolaires » pour paraître dans le Journal de philosophie ;
- envisager que soient constituées et
disponibles des archives du Journal de philosophie de chaque année (les élèves
étant évidemment libres d’en retirer leurs articles, de signer par un pseudo,
etc.) ;
- envisager une publication des
articles par les éditeurs grand public ;
- faire éventuellement
accompagner la production des articles par la rédaction de « feuilles de
route » décrivant le processus d’élaboration de l’article (cf. ce que
propose l’Acireph pour l’accompagnement du travail de la dissertation)
Les modèles : les textes libres et le
Journal de Freinet ; Jacotot 1815 (cf. Rancière) ; Pierre Clanché (travaille
sur production de textes libres en pédagogie Freinet ; Le texte libre – écriture des enfants ;
Anthropologie de l’écriture et pédagogie Freinet ;
L'enfant écrivain : Génétique et symbolique du
texte libre (thèse,
publiée 1988)).
II. La question de la
transposition de cette pratique d’écriture de textes libres à la pratique de la
dissertation.
La
question est posée par J. Go, mais laissée ouverte, car comment mesurer
précisément ces effets ?
J. Go insiste sur les effets d’émulation
des élèves entre eux : on voit des élèves imiter un article qui leur a plu →
intérêt de faire circuler des photocopies d’introductions réussies de
dissertations ou de fiches de lectures réalisées par des élèves.
Parmi les participants, certains
semblent considérer qu’on ne doit pas particulièrement se soucier de cette
question de la transposition, le point décisif étant que les élèves aient écrit
et expérimenté par eux-mêmes une forme d’écriture en direction du « philosophique
» et en ayant été effectivement invités à « penser par eux-mêmes ». La
générosité de l’entreprise est par ailleurs peut-être suffisante pour « infuser » tout le travail
demandé ensuite aux élèves. Après lecture de certains articles, le prof. sait
par ailleurs parfois quelque chose de très personnel et intime quant à l’élève,
qu’il pourra mobiliser le cas échéant pour
l’aider à entrer dans le genre de la dissertation. Rappel aussi qu’au CLEPT,
c’est en faisant faire aux élèves des activités (débats, TD, etc.) autres que
la préparation au Bac qu’on les fait finalement réussir au Bac.
Suggestions faites par des
participants du séminaire :
-
ne pourrait-on faire saisir aux élèves que certains des articles
proposés sont bien déjà engagés dans des opérations de problématisation et
d’argumentation (ex. T.8, 10 et 12) ?
- ne pourrait-on même attendre
qu’ils trouvent par eux-mêmes, lors de l’élaboration des critères de la grille,
des items qui sont au cœur du travail de la dissertation, par exemple « problématisation »
(capacité de dégager et poser clairement un problème),
« conceptualisation » (capacité de bien définir et différencier les
termes qu’on emploie), « argumentation » (capacité de prendre en
compte des objections et d’y répondre), etc. ?
- ne pourrait-on utiliser
certains articles dans le traitement de certains sujets de dissertation ?
- ne pourrait-on utiliser
certains articles pour faire saisir aux élèves la différence entre un article
et une dissertation ?
Libellés : écrire, journal philosophique